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Après des décennies d’hésitations, de plans avortés et de stratégies cloisonnées, le pays semble enfin rompre avec les modèles classiques pour privilégier une trajectoire plus pragmatique, fondée sur l’innovation, la transparence et la faisabilité.
La Tunisie franchit une nouvelle étape dans sa stratégie de développement à travers une approche renouvelée de la mise en œuvre des mégaprojets. Lors de la troisième réunion de la Commission supérieure des mégaprojets, tenue le jeudi 27 février, au Palais du gouvernement à La Kasbah, sous la présidence du Chef du gouvernement, Kamel Maddouri, trois projets nationaux prioritaires ont été examinés. Ces initiatives touchent des secteurs stratégiques tels que le transport, les technologies de la communication et l’enseignement supérieur, témoignant ainsi d’une vision ambitieuse tournée vers l’innovation et le développement durable.
Des infrastructures modernes pour un transport durable
L’un des axes majeurs de cette réunion a porté sur l’acquisition de 30 rames de métro léger. Ce projet s’inscrit dans une volonté d’améliorer le réseau de transport public, en dotant la Société des Transports de Tunis (Transtu) d’équipements modernes, répondant aux normes de sécurité et de confort les plus avancées. Au-delà de l’amélioration des services dédiés aux usagers, cette initiative reflète l’engagement de l’État en faveur d’une mobilité plus écologique et efficace.
Le transport ferroviaire, en tant que mode privilégié pour décongestionner les routes et réduire l’empreinte carbone, joue ainsi un rôle central dans cette stratégie. La décision d’accélérer l’acquisition de nouvelles rames à travers des procédures abrégées témoigne de l’urgence de moderniser les infrastructures de transport et de garantir un service plus fiable aux citoyens.
Une «e-ville» pour asseoir la transition numérique
Autre projet phare ; la construction d’une «e-ville» à Nahli, dans le gouvernorat de l’Ariana. Ce projet ambitieux s’inscrit dans une dynamique de développement du secteur numérique à l’échelle nationale, visant à positionner le pays comme un hub technologique en Afrique et dans le monde arabe. En mettant en place un espace spécialement conçu pour les entreprises du digital et les start-up, la Tunisie aspire à créer un environnement propice à l’innovation, à l’investissement et à l’essor des nouvelles technologies.
L’e-ville de Nahli ne se limite pas à une infrastructure physique. Elle traduit une volonté de favoriser un écosystème numérique performant, intégrant des pôles d’innovation, des incubateurs et des espaces de collaboration qui favoriseront l’émergence d’un tissu technologique compétitif. En facilitant l’installation d’acteurs nationaux et internationaux du secteur, ce projet devrait non seulement générer des emplois qualifiés, mais aussi renforcer la compétitivité de la Tunisie sur l’échiquier numérique mondial.
Renforcement de l’enseignement supérieur et de la recherche
Dans la même logique de développement, la Commission a également acté la finalisation de l’École nationale des ingénieurs de Bizerte. Cette infrastructure universitaire, dont la construction avait rencontré plusieurs obstacles par le passé, sera achevée grâce à des contrats flexibles, permettant une plus grande souplesse d’exécution et une adaptation aux réalités du terrain.
L’ouverture de cette école revêt une importance stratégique pour la formation d’ingénieurs hautement qualifiés, capables d’accompagner les mutations technologiques et industrielles du pays. En renforçant le maillage universitaire national, ce projet contribue à offrir des opportunités éducatives de haut niveau, tout en favorisant le développement régional et la décentralisation des pôles de formation.
Des modèles inspirants pour une transformation réussie
D’autres pays confrontés à des défis similaires ont su transformer leur économie grâce à des stratégies audacieuses. L’Estonie, par exemple, ce pays situé en Europe du Nord, a réussi sa transition numérique en mettant en place une administration entièrement dématérialisée et en favorisant l’émergence d’un écosystème start-up florissant. De même, le Maroc s’est imposé comme un acteur clé dans le domaine des énergies renouvelables, avec des projets d’envergure comme la centrale solaire Noor à Ouarzazate. Ces expériences montrent qu’une vision claire, associée à une volonté politique forte et à des réformes structurelles adaptées, peut permettre de relever des défis complexes et d’accélérer le développement économique.
Une nouvelle vision du développement territorial
L’orientation vers ces mégaprojets ne relève pas du hasard, mais s’inscrit dans une réflexion plus large portée également par le Conseil national des régions et des districts (Cnrd), qui cherche à élaborer de nouveaux modèles de développement. Ce dernier plaide pour une approche adaptée aux spécificités des territoires, rompant ainsi avec les schémas traditionnels centralisés.
Lors d’une Journée d’étude tenue à Bizerte le jeudi 27 février, sous le thème «Bizerte : ville durable et Menzel Bourguiba : zone modèle», le président du Cnrd, Imed Derbali, a insisté sur l’importance de mobiliser les ressources locales et d’évaluer les conditions de vie pour mettre en place des programmes sur mesure. Le choix de Bizerte comme pilote illustre cette volonté d’adopter des solutions différenciées en fonction des potentialités de chaque région.
Les débats ont notamment mis en lumière les enjeux de la transition énergétique et des infrastructures durables, en lien avec les stratégies nationales. L’intégration des mégaprojets dans cette dynamique territoriale confirme une tendance de fond d’un pays en train de redessiner son modèle de développement en misant sur l’innovation, la participation citoyenne et une meilleure adaptation aux réalités locales.
Vers un développement axé sur l’innovation et la durabilité
Après des décennies d’hésitations, de plans avortés et de stratégies cloisonnées, la Tunisie semble enfin rompre avec les modèles classiques pour privilégier une trajectoire plus pragmatique, fondée sur l’innovation, la transparence et la faisabilité.
Mais au-delà des intentions affichées, ce sont les actes qui donneront corps à cette ambition nationale. Notre pays ne se contente plus de projeter l’avenir, mais s’emploie à le construire avec détermination. Chaque projet lancé, chaque infrastructure modernisée, chaque réinvention des politiques publiques porte en lui un changement de paradigme: celui d’un développement qui ne repose plus sur de simples promesses, mais sur une mise en œuvre concrète, mesurable et durable.
Loin des schémas figés du passé, cette dynamique nouvelle devra reposer sur trois leviers essentiels : une gouvernance audacieuse, capable de dépasser les résistances et les inerties administratives ; une mobilisation collective, impliquant aussi bien l’État, le secteur privé que la société civile ; et enfin, une vision de long terme, où la modernité et la durabilité ne sont pas des éléments de communication, mais des principes structurants de l’action publique.
Mais surtout, cette transformation ne pourra aboutir sans une approche transversale et interministérielle, en vue de garantir une meilleure coordination entre les politiques publiques et une mise en cohérence des efforts à tous les niveaux de l’État. Il s’agit de rompre avec la logique des vases clos administratifs qui a de tout temps freiné l’efficacité et entravé l’exécution des réformes.
Le véritable défi ne sera donc pas uniquement technique ou financier. Il sera aussi politique et social. La question est de savoir comment imprimer un élan collectif et fédérer toutes les énergies autour d’un projet national de transformation. Car la réussite de cette transition ne dépendra pas seulement de l’ampleur des investissements, mais de la capacité des décideurs à rassembler, convaincre et donner du sens à cette ambition. Sans cette adhésion, même les projets les plus innovants risqueraient de se heurter aux mêmes écueils que leurs prédécesseurs.
C’est à travers cette capacité à dépasser les clivages, à replacer l’intérêt général au cœur des décisions et à insuffler une dynamique de progrès que se jouera l’avenir du pays. Une Tunisie où le développement ne serait plus un mirage mais une réalité tangible.